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De la compétitivité des énergies renouvelables 
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Source: Creative  commons

Si vous êtes lecteur d’Ener’Focus, vous savez certainement que le coût de la production renouvelable a significativement diminué ces dernières années. Vous avez aussi sûrement déjà lu au moins un article, écrit par une source plus ou moins fiable, expliquant que le coût de production de certaines énergies renouvelables, comme le solaire ou l’éolien ne pouvait être comparé directement à celui des capacités de production “traditionnelles” car leur production n’est pas commandable et soumise à des aléas climatiques. Puisque l’énergie renouvelable est “intermittente”,  sa valeur pour le système électrique serait moindre que celles des capacités thermique (nucléaire, centrales gaz, charbon…). Cette logique sert souvent d’argument contre la compétitivité des énergies renouvelables et cela malgré la chute de coût susmentionnés.

 

La plupart de ces articles oublient cependant de fournir des estimations du coût de “l'intermittence” ou alors se lancent des calculs de coin de table dont les résultats ne sont pas pertinents. Et cela alors même qu’ils viennent d’affirmer que c’est une donnée d'importance vitale pour mesurer la compétitivité d’une technologie de production avec une autre.

 

Est-il si difficile de mesurer précisément le coût de “l’intermittence” de la production renouvelable?  Vous vous en doutez la réponse est non. La libéralisation du marché de l’électricité ayant permis une grande transparence des coûts du système électrique, il est en réalité facile pour un initié d’estimer la valeur du MWh renouvelable. Et c’est que nous allons voir tout au long de cet article.

   

 

La valeur du profil de production

 

La production d’énergie solaire et éolienne n’est commandable qu’à la baisse, on peut l’interrompre quand la demande est faible (du moins si le producteur est correctement incité à le faire) mais on ne peut pas l'augmenter lorsque la demande est élevée, car la production maximale d’une installation dépend des conditions climatiques du moment. Elle ne peut “suivre” le profil de la consommation nationale, comme peut le faire une centrale à gaz par exemple. 

 

La production renouvelable a aussi un profil saisonnier qui ne correspond pas exactement à celui de la consommation. La consommation d’électricité française est en moyenne élevée en hiver et faible en été. Elle est aussi plus élevée en journée que durant la nuit. Le solaire produit bien en journée mais peu en hiver et beaucoup en été. L’éolien a tendance à produire plus en hiver mais il n’a pas de profil infra-journalier bien défini (il ne produit pas significativement plus le jour que la nuit). Pour ces raisons, on peut s’attendre à ce que la valeur de l’énergie solaire ou éolienne soit inférieure à la valeur d’une technologie pouvant parfaitement répondre aux variations de la demande. 

 

Estimer la valeur pour le système électrique des différentes technologies de production est plutôt simple. Il suffit de valoriser la production nationale d’une technologie aux prix horaires spot à l’aide des données mise à disposition par RTE et EPEX spot. Vous pouvez comparer dans le graphique ci-dessous, la moyenne pondéré des prix spot horaires pondérés par leur production horaire (représentatif de leur valeur/MWh sur le marché sur cette période) de différentes technologies ainsi que la moyenne arithmétique des prix spot, le tout calculé sur une période de 3 ans (2017-2019). La production des capacités thermique fossiles, qui produisent davantage en période de prix hauts, ont une valeur supérieur à la moyenne du spot de 11,6 euros/MWh pour le charbon et 6,52 euros/MWh pour le gaz. Le nucléaire qui fonctionne en base tout le long de l’année avec des périodes de maintenance l’été se valorise un peu plus que la moyenne des prix (+0,96 euros/MWh). Coté renouvelable la valeur de l’énergie produite est en effet moindre, l’éolien est inférieur de 2,13 MWh à la moyenne du spot, le solaire est inférieur de 1,64 euros/MWh, l’hydraulique “fil-de-l‘eau”est lui inférieure de seulement 0,76 euros/MWh. 

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Moyenne pondérée des prix spot horaires par les volumes de production

Le coût de l’aléa

 

La production solaire et éolienne dépendent de facteurs météorologiques qui ne sont pas parfaitement connus en avance (vitesse du vent, irradiation, etc.), une partie de celle-ci est donc aléatoire. Autrement dit s'il est possible de prévoir la production en avance avec une certaine précision, il existe toujours une erreur résiduelle entre l’énergie prévue et l’énergie effectivement livrée.

 

Lorsque qu’un aléa (variation de la production renouvelable, de la demande ou indisponibilité de certaines centrales ou interconnections) impacte l’équilibre du système, RTE active des réserves, contractées en avance, afin de le contrebalancer. Le coût de l’activation de ces réserves est ensuite redistribué aux responsables de l’aléa via le dispositif de règlement des écarts. RTE valorise le volume de l’écart (en d’autres mots l’erreur de prévision) au prix des écarts, qui représente le coût moyen des réserves activées sur la demi-heure. La différence entre le prix des écart et le prix spot est ce que l’on appelle le coût des écarts. 

 

Les capacités thermiques ont un coût des écarts très faible. Seules des indisponibilités non programmées (pannes,...)  génère de l’écart et celui est relativement insignifiant quand on le ramène à leur production totale. Pour faire simple, nous allons considérer que celui est égal à 0 euros/MWh. 

 

Le prix des écart au pas demi-horaire est bien sûr publique. Tout comme des prévisions de production éolienne et solaire réalisées à la maille nationale par RTE. En utilisant ces données, il est possible d’estimer le coût des écarts moyen par MWh produit  de ces technologies. Ainsi nous pouvons estimer que le coût de l’écart en J-1 (à l’échéance du marché day-ahead) est de pour l’éolien de 0,51 euros/MWh et de 0,5 euros/MWh pour le solaire. 

 

En réalité, ces coûts sont un peu surestimés, car il est aussi  possible pour les capacités renouvelables de participer au marché intraday avec des prévisions plus précises car plus proches du moment de production effective. Mais notre estimation donne tout de même une idée décente de la réalité. 

 

Qu’elle est la technologie la plus compétitive? 

 

Maintenant que nous avons identifié les différents surcoûts propres aux capacités solaires et éoliennes, nous pouvons donc comparer la compétitivité de différentes technologies sur un pied d’égalité. Le graphique ci-dessous compare les LCOE (coût complet actualisé par MWh) pour des installations neuves, j’insiste nous ne parlons pas ici de capacités amorties. 

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LCOE des différentes technologies de production

 

Les données de coûts des renouvelables et des CCGT sont issues de l’observatoire du coût des énergies renouvelables et de récupération publié par l’ADEME (édition 2019), des données du rapport Levelized Cost of Energy de Lazard pour les centrales charbon et des déclarations d’EDF pour le coût des EPR. Il est à noter que pour les EPR, afin d’éviter les remarques du type “l’EPR de Flamanville est une tête de série son coût n’est pas représentatif”, j’ai inclus en fourchette basse l’estimation de coût donnée par Jean-Bernard Lévy sur le coût d’un EPR “de série” amorti sur 65 ans soit 70 euros/MWh (déclaration faite en novembre 2019). Et cela même si aucun EPR n’a été construit à ce coût (ce n’est qu’une estimation contrairement aux autres technologies qui ont des coûts “historiques”) et que cela ne sera sans doute pas le cas avant un bon moment -- durant lequel le coût des énergies renouvelables aura encore le temps de diminuer. 

 

A ces coûts/MWh, ajoutons maintenant les coûts de profil et d’écart identifiés dans les paragraphes précédents pour chaque technologie. Pour la fourchette basse de l’éolien par exemple, nous calculons 47+2,13+0,51= 49,64 euros/MWh. Comme on peut le constater sur le graphique ci-dessous, si ce coût de “l’intermittence” diminue bien la compétitivité des énergies renouvelables, ceux-ci en général sont trop faibles pour modifier le classement.  La seule exception est le cas des CCGT qui deviennent plus compétitives lorsque l’on tient compte de la valeur supérieure de leur production sur le marché (pour la fourchette basse 43,48-6,52 euros/MWh) Toutefois, il faut se souvenir que son LCOE est sensible aux évolutions du prix du gaz naturel et du carbone et qu’il est donc très variable, contrairement à celui des énergies renouvelables ou du nucléaire.  

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LCOE des différentes technologies de production en intégrant les coûts de l'intermittence

 

Si on considère uniquement les capacités de production décarbonées, le solaire est le grand gagnant de notre classement. D’ailleurs, c’est la seule technologie pour laquelle une installation nouvelle peut être compétitive avec les prix de marchés actuels. L'éolien suit ensuite. L’EPR même “de série” est en queue de peloton.

 

Toutefois, 2 petites nuances sont à apporter à cette analyse. 

 

L’une est que les coûts sont calculés sur des capacités existantes mais appliqués à des capacités nouvelles qui peuvent avoir des caractéristiques techniques un peu différentes. Par exemple l’EPR de Flamanville aura certainement une meilleur disponibilité durant les périodes hivernales que ces consœurs plus anciennes (on ne peut malheureusement pas  le vérifier tant qu’il ne fonctionne pas). De même, les centrales charbon modernes sont plus efficientes que leurs ancêtres. Toutefois, cet effet ne me semble pas en mesure de modifier l’ordre du classement.

 

L’autre nuance est que les coûts de profil et d’écart peuvent évoluer avec le temps et surtout en proportion avec la pénétration des capacités renouvelables. En cas de fort développement des énergies renouvelables, leur valeur sur le marché va aller en diminuant (phénomène désigné parfois du sobriquet sinistre de  “cannibalisation”) augmentant donc le coût de profil. Le prix des écarts deviendra aussi de plus en plus corrélé avec l’erreur de prévision de la production renouvelable, car c’est cette erreur qui déterminera l’écart du système de plus en plus fréquemment, augmentant in fine le coût de l’écart pour ces technologies. Ce sont des phénomènes observés en Allemagne et dans d’autres pays où la production renouvelable est élevée. Cet effet n'est en mesure de modifier l'ordre du classement qu'à des niveaux de pénétration des énergies renouvelables bien plus élevés que les niveaux actuels.

 

De manière générale, investir uniquement dans la technologie la moins chère à un moment donné n’est pas forcément la solution optimale. Les différentes technologies de production ont des structures de coûts très différentes, certaines ont des coûts d’investissements élevés comme les renouvelables et doivent fonctionner en continu pour être rentables, d’autres ont des coûts d’investissements plus faibles  et peuvent se permettre de ne fonctionner que durant les pointes de demande. Leur capacité à moduler leur production en fonction des aléas du système (variation de la demande, défaillance d’une centrale, etc.) est elle aussi très différente -- elles sont plus ou moins “flexibles”. Il est impossible d’assurer l'équilibre du système électrique sans un certain pourcentage de capacités flexibles. 

 

Un bon mix électrique est un mix qui possède une combinaison de différentes technologies permettant un coût minimal tout en garantissant la sécurité d’approvisionnement et une empreinte environnementale réduite. Il est difficile d’obtenir ce résultat avec une seule technologie de production et impossible avec des technologies décarbonées. Autrement dit, un mix 100% nucléaire est aussi impossible techniquement qu’un mix 100% éolien. Un des défis de la transition énergétique (souvent oublié au profit d’un débat interminable sur la part du nucléaire et du renouvelable) sera de développer des capacités de pointe décarbonées à grande échelle (stockage, effacement,etc.). 

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