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Mécanisme de capacité, quel retour d’expérience ? 
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RTE a publié fin février, pour consultation auprès des acteurs de marché, une version complète de son retour d'expérience sur les 3 premières années du mécanisme de capacité, soit la période 2017-2019. 

 

Il est bien sûr dommage que l’explosion des prix de la garantie qui a eu lieu courant 2020 ne rentre pas dans le périmètre de ce rapport, mais il est cependant rempli d’éléments intéressants et indique clairement un besoin de réforme du mécanisme.

 

Missing money et situation contrefactuelle 

 

Pour bien comprendre l’analyse qu’a menée RTE, il faut tout d’abord se rappeler dans quel objectif a été créé le mécanisme de capacité. Dans un marché de l’électricité libéralisé, c’est le niveau du prix de marché qui devrait guider les décisions des producteurs. En gros, si le prix est haut on investit dans de nouvelles capacités de production/effacement/stockage et si le prix est trop bas on ferme des capacités.

 

Cependant, pour les capacités de semi pointe/pointe (CCGT, TAG,TAC; et effacements) qui ne fonctionnent qu’un nombre d'heures limité, quand les prix sont suffisamment élevés, ce signal prix peut se révéler incapable à susciter un niveau de disponibilité suffisant pour assurer la sécurité du système électrique. Imaginez trois hivers successifs et une TAC (générateur diesel) qui ne tourne que lorsque le prix de marché est supérieur à 200 euros/MWh. Les deux premiers  hivers sont chauds, les 200 euros/MWh ne sont pas atteints et l’opérateur de la TAC n’a aucun revenu. En parallèle, il continue à payer des charges fixes (maintenance, salaires…), face à cette perte il va décider de fermer son installation à l'issue de la seconde année. Durant le troisième hiver les températures sont basses, les prix sont élevés et la TAC aurait pu tourner durant une longue période, seulement elle n’est plus là car elle a fermé. Même dans un marché de l’énergie fonctionnant correctement le revenu de l’énergie peut être donc insuffisant pour maintenir une centrale qui aurait été utile pour maintenir la sécurité du réseau en cas de phénomène de pointe important. On appelle généralement ce phénomène le “missing money”. 

 

Ce “missing money” peut amener à  des niveaux de disponibilité de capacité de production insuffisants pour assurer l'équilibre offre-demande. Afin de remédier à ce défaut, le mécanisme de capacité a été introduit afin de rémunérer une capacité disponible en période de pointe, indépendamment des MWh produits, et de décourager la consommation durant la même période (limitant ainsi les phénomènes de pointe).

 

Afin d'évaluer l'efficacité du mécanisme de capacité, il faut tout d’abord estimer le volume de capacité qui n’aurait pas été disponible en période de pointe durant les années considérées sans le revenu supplémentaire procuré par la vente de garantie de capacité - la disponibilité contrefactuelle. Et c'est exactement ce que fait RTE dans le REX.

 

Comment RTE s'y prend-il?  Et bien il essaye d’évaluer par filière potentiellement concernée par le “missing money” et par année de livraison si les revenus procurés par les marchés de l’énergie auraient été suffisants pour maintenir les capacités de cette filière disponibles ( s’ils couvrent au moins le coût fixe annuel lié la disponibilité de ces capacités). La tâche est ardue car bien sûr les prix de l'électricité, des combustibles et des EUA  évoluent en permanence et il n’est pas évident de savoir à quelle marge par MWh les acteurs peuvent prétendre. Toutefois, il est possible d’estimer des ordres de grandeur. RTE, en utilisant deux approches différentes, a établi 2 scénarios qui considèrent que le système électrique aurait disposé entre 1,8 GW (scénario bas) et 3,5 GW (scénario haut) de capacité disponible en moins sur la période 2017-2019 sans mécanisme de capacité. 

Mais avions-nous besoin de ces GW? RTE répond par l’affirmative, sans mécanisme de capacité le critère de sécurité d’approvisionnement n’aurait pas été respecté sur la période 2017-2020. En l’absence de mécanisme de capacité, le niveau de sécurité d’approvisionnement en électricité en France se serait établi sur la période 2017-2019 à une espérance de durée de défaillance située entre 5,5 et 10 h/an au lieu des 3h/an réglementaires . 

 

Le mécanisme nous a par exemple certainement évité une défaillance sur la semaine 16 au 22 janvier 2017, durant laquelle une vague de froid avait touché la France et conduit à une exploitation du système électrique proche de ses limites mais n’a pas conduit à l’activation de moyens exceptionnels. En rejouant cette situation avec les scénarios contrefactuels sans mécanisme de capacité, RTE a estimé que les journées du 18, 19 et 20 janvier 2017 n’auraient pas pu être gérées sans défaillance.

 

Au vu de ces éléments, le mécanisme de capacité semble avoir été bénéfique sur la période. Afin de quantifier ces bénéfices en espèces sonnantes et trébuchantes, RTE utilise le coût de la défaillance de 20 000 €/MWh (un MWh non livré coûte 20 000 euros de pertes économiques). En permettant d’éviter une baisse des capacités disponibles pour le système électrique entre 1,8 GWet 3,5 GW, le mécanisme de capacité a, selon RTE, permis d’éviter entre 8 et 20 GWh/an de défaillance en moyenne sur les années 2017 à 2019. Ainsi, le

gain du mécanisme de capacité associé à la réduction de l’énergie en défaillance se situe ainsi dans une fourchette entre 150 et 400 M€/an. A ce bénéfice, il faut toutefois enlever des coûts de mise en œuvre  supportés par les acteurs (producteur, agrégateurs, fournisseurs, RTE, les GRD,etc.) de l’ordre de 30 M€/an et les coûts fixes des capacités maintenues en activité par le mécanisme, ce qui donne un gain pour la collectivité de 75 M€/an dans le scénario bas et de 280 M€/an dans le scénario haut. 


 

Bénéfices et coûts du mécanisme

 

En face de ces volumes et bénéfices, il faut toutefois mettre des coûts pour les consommateurs  et c’est là que les choses se corsent un peu pour le mécanisme de capacité. En effet, l’implémentation du mécanisme de capacité a augmenté la facture du consommateur français via principalement le coût de l’obligation, subie par le fournisseur et transférée au consommateur final, mais aussi un surcoût du TURPE (les gestionnaire de réseau achète des garanties au titres des pertes) et pour les résidentiels un surcoût de TVA (TVA à 20% appliquée sur l’obligation et au surcoût TURPE). 

 

Il est à noter que ce coût est réduit par le mécanisme ARENH qui fournit 1 MW de garanties pour chaque MW d’ARENH livré. Le dispositif étant aussi répliqué dans les tarifs d’EDF (TRV…), au final 30 à 35 GW sur 80 à 85 d’obligation sont obtenus par les consommateurs à “coût nul”. 

 

Les 50 GW restants par contre sont bien payés par les consommateurs et leur coût dépend beaucoup du niveau de prix de la capacité. Ainsi le coût du mécanisme de capacité pour les consommateurs a été de 600 M€ en 2017, 550 M€ en 2018 et 1200 M€ en 2019. Si on compare ces coûts au bénéfice/an du scénario haut de 280 M€, les consommateurs ont “perdu” en moyenne 503 M€/an sur la période à cause du mécanisme de capacité. 

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Estimation du coût du mécanisme de capacité pour le consommateur, source RTE

Et rappelez-vous que ces chiffres sont valables sur une période où le prix de référence de la capacité à varier entre 9 et 17 keur/MW et l'écrêtement de l’ARENH était nul ou moindre. Pour comparaison, le prix de la capacité 2021 à l’enchère du 10 décembre 2020 était de 39 keur/MW. Le coût de la capacité 2021 devrait donc être supérieur à 2800 M€. Soit un coût dix fois supérieur au bénéfice estimé par RTE dans le scénario haut de son analyse.

 

Quelques pistes d’amélioration

 

Malgré un objectif noble et des bénéfices notables, le mécanisme de capacité est donc excessivement coûteux pour les consommateurs. Dépenser en moyenne 783 M€/an sur la période 2017-2019 pour 3,5 GW de capacité revient à payer la capacité "additionnelle" 223 K€/MW. Ce qui est incroyablement cher quand on considère que le “missing money” de la plupart des capacités est de quelques dizaines de milliers d’euros. 

 

Si on considère uniquement nos 3,5 GW additionnel et le revenu moyen/MW qu’il ont pu obtenir sur la période (12,6 K€/MW), le coût total du mécanisme de capacité n’aurait pas excédé 43 M€/an ce qui serait relativement négligeable dans la facture d'électricité et largement contrebalancé par le gain de 280 M€/an .

En réalité, le mécanisme français étant “capacity wide”, une majeure partie des revenus issus de ce dispositif rémunère des capacités qui n’ont pas de “missing money”, soit par exemple les capacités nucléaires et renouvelables. Le revenu du mécanisme de capacité n’affecte absolument pas leur disponibilité sur les périodes de pointe, c’est un pur effet d’aubaine.  En 2019, le parc nucléaire a par exemple constitué 58% des capacités certifiées.

 

Afin de rendre le mécanisme de capacité plus efficace à la fois en termes de coût et de contribution à la sécurité d'approvisionnement, il est urgent de le recentrer sur les capacités des filières qui subissent réellement un missing money soit les filières gaz, stockage et effacement. Les capacités “baseload” (hors peut-être les capacités nouvelles) ne devraient donc pas bénéficier du revenu du mécanisme de capacité. On peut envisager une exclusion totale de la certification de certaines filières ou de manière plus sophistiquée via la création d’un coefficient évolutif de “derating” de la capacité qui soit inversement proportionnel au “missing-money” estimé d’une filière pour une année de livraison. 

 

Afin de s’adapter à ce volume de capacité réduit, le calcul de l’obligation devrait être adapté afin de retirer la part qui n’est pas dû à un phénomène de pointe. Par exemple, en retirant la part non thermosensible de la consommation du calcul de la puissance de référence. Un site non thermo-sensible ne payerait ainsi pas ou peu d'obligation.      

 

Conclusion 

 

Contrairement aux analyses décrites dans l’article du mois dernier sur les CEE (largement incomplètes), RTE a mené un travail sérieux et complet d’évaluation économique sur le mécanisme de capacité.

 

Sur la période considérée, le mécanisme de capacité semble avoir démontré son utilité. Cependant il apparaît que les coûts pour les consommateurs auraient pu être considérablement réduits ou la marge du système augmentée dans d’autres designs de marché. Notamment en redirigeant les revenus du mécanisme vers les capacités ayant réellement un “missing-money” et en adaptant le calcul de l’obligation de capacité en fonction, ce qui aurait pour effet de réduire les effets d’aubaines coûteux.

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